THE HANDSTAND

NOVEMBER 2005

Interview with Leila Shahid about Capital Punishment, the Death Sentence.

La déléguée générale de Palestine en France, Leïla Shahid, Leïla Shahid : "personne n’a le droit d’enlever la vie d’un être humain" entretien réalisé par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du samedi 8 octobre 2005

LE JOURNAL DE L'ABOLITION


- Vous êtes contre la peine de mort. L’avez-vous toujours été ou votre position a-t-elle évolué avec le temps ? Et l’êtes-vous dans tous les cas ?
- Leïla Shahid. J’ai toujours été contre la peine de mort, même si en Palestine aujourd’hui il y a une législation qui permet l’exécution de criminels et des collaborateurs. Il faut comprendre qu’il s’agit d’une situation particulière, d’un état de guerre. Des gens sont tués, victimes d’assassinats ciblés à la suite d’informations données à l’armée israélienne par ces collaborateurs. Pourtant, c’est pour moi une conviction éthique que personne n’a le droit d’enlever la vie d’un être humain. Et j’espère que nous arriverons en Palestine à promulguer une loi qui interdise le recours à la peine capitale. Mais je ne me fais aucune illusion. Cela prendra du temps. Beaucoup de gens pensent encore aujourd’hui, et je pense que c’est aussi le cas en Europe et en France, où elle a été abolie, que la peine de mort a une valeur d’exemple, qu’elle est un moyen de dissuasion.

- Avez-vous une idée de l’opinion des Palestiniens à ce sujet ?
- Leïla Shahid. Je ne pense pas qu’il y ait eu de sondage sur cette question, mais je ne suis pas sûre, si l’on en faisait un, que l’on trouverait une majorité de Palestiniens pour approuver les exécutions. Il n’y a pas eu non plus de débat sur cette question au plan législatif. En réalité, nous sommes à peine au début de la rédaction de notre Constitution. Et il y a tellement de sujets à débattre pour la mise en place d’un corpus juridique que la peine de mort n’est pas, pour l’instant, apparue comme une priorité. Il faut se souvenir qu’en France l’abolition de la peine de mort date de moins d’un quart de siècle. Cela n’a été fait qu’en 1981, par un gouvernement de gauche, même si François Mitterrand avait lui-même pendant la guerre d’Algérie fait exécuter des condamnés. L’abolition fut le résultat d’un très long combat mené par l’opinion publique et de grands juristes comme Robert Badinter. Je crois que pour la Palestine ce sera le même processus, avec l’apport important que représente le combat mené au plan international pour l’abolition totale de la peine de mort.

- N’y a-t-il pas un débat sur le problème particulier que pose le sort des collaborateurs ?
- Leïla Shahid. C’est en effet un débat que nous devons avoir au sein de la société palestinienne. Le fait que nous allons bientôt avoir des élections, allié aux événements qui viennent de se produire dans la bande de Gaza, fait que nous devons avoir sur la question des collaborateurs un débat public. Sinon, leurs victimes recourront à la vendetta. C’est d’ailleurs malheureusement ce qui se passe aujourd’hui en Palestine. On ne peut donc pas éviter un débat public, un débat citoyen. C’est ma position et c’est celle que défendent aussi un certain nombre de militants des organisations de droits de l’homme et de citoyens qui demandent publiquement la fin de l’exécution des collaborateurs. C’est un problème qu’ont connu toutes les sociétés qui ont eu à subir l’occupation. Mais, nous, Palestiniens, la connaissons depuis près de trente-huit années, avec les manipulations terribles que cela permet dans certains milieux fragiles comme les toxicomanes, par exemple. C’est donc un débat très difficile. Mais il faut l’affronter, car le pire serait de laisser la population faire justice elle-même. Il faut que la question se règle par le recours au droit, que les collaborateurs aient la possibilité de se défendre devant la justice. L’idéal étant de déboucher un jour sur une commission Vérité et réconciliation, comme en Afrique du Sud. Mais cela ne sera possible qu’après la fin de l’occupation. On ne peut pas brûler les étapes de l’histoire. Pour l’instant, l’armée d’occupation qui s’est retirée de Gaza a emmené ses collaborateurs dans ses bagages, comme elle l’avait déjà fait au Liban. C’est une tragédie de plus.

- L’appartenance des Palestiniens au monde arabe et, très majoritairement, au monde musulman pose-t-elle un problème particulier ?
- Leïla Shahid. Sur vingt-deux pays arabes, seule l’Arabie saoudite pratique la forme la plus barbare d’exécution capitale, avec la décapitation publique, en se fondant sur des textes religieux. Un seul autre pays, mais qui n’est pas arabe, pratique aussi les exécutions publiques et les lapidations sur des bases religieuses. Je crois surtout que tant que la première puissance du monde, qui se prétend la plus démocratique et la plus moderne, c’est-à-dire les États-Unis, continue d’utiliser la peine de mort, c’est difficile de dire que la peine de mort est un acte barbare et universellement condamné. Les États-Unis donnent un exemple terrible qui permet à d’autres pays, comme la Chine, première au monde en nombre d’exécutions, de continuer.